22 juin 2017

Tensions à l’annonce du référendum sur l’indépendance catalane

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Depuis quelques années, on a pu assister à un certain gain en popularité du nationalisme catalan et de l’indépendantisme dans cette riche communauté autonome du Nord-Est de l’Espagne. Depuis le début des années 2000, plusieurs bras de fer constitutionnels ont eu lieu entre Madrid et Barcelone au sujet du statut de la Catalogne[1]. La Catalogne réussissant rarement à faire entendre ses revendications auprès de Madrid, l’indépendantisme a connu une progression sans pareille dans les sondages ces dernières années[2], allant jusqu’à justifier le désir de la part du gouvernement catalan dirigé par Artur Mas de tenir un référendum sur l’indépendance en 2014. Or, Madrid avait refusé au gouvernement catalan la compétence d’organiser par lui-même le référendum, suite à quoi M. Mas avait annoncé que le référendum serait remplacé par un « processus participatif sur l’avenir politique de la Catalogne », tenu le 9 novembre 2014. Malgré un fort taux d’abstentionnisme et plusieurs tentatives d’entraves par le gouvernement central, la consultation s’était soldée par 80,76% de voix favorables à l’indépendance[3]. Cette consultation n’ayant toutefois pas eu de valeur juridique, le gouvernement catalan avait alors décidé de déclencher une élection législative dans le but de faire élire un gouvernement indépendantiste qui considérerait avoir le mandat de la population pour déclarer l’indépendance. Cette élection, tenue le 27 septembre 2015, avait donné la majorité des sièges aux deux formations politiques indépendantistes (Junts Pel Sí et Candidatura d’Unitat Popular-Crida Constituent) mais pas une majorité de voix[4], ce qui avait été perçu par l’opposition comme délégitimant le mandat indépendantiste du gouvernement[5].

Poursuivant son intransigeance face aux indépendantistes catalans, l’État espagnol (dirigé par Mariano Rajoy et le gouvernement du Partido Popular) a poursuivi récemment M. Mas et deux ex-ministres régionaux pour avoir organisé un référendum considéré illégal, ne manquant pas de souffler d’autant plus sur la flamme de l’autodétermination[6]. S’inscrivant dans la foulée de tous ces événements, le président actuel de la Généralité de Catalogne, Carles Puigdemont, a donc annoncé le 9 juin dernier qu’un référendum officiel se tiendrait le 1er octobre prochain[7], propos évidemment très mal accueilli par Madrid[8]. De toute évidence, cela ne se déroulera pas sans entraves considérant l’attitude du gouvernement espagnol. Face à toutes ces incertitudes, quel est l’état de la scène politique catalane ? Dans quelle position se trouvent les indépendantistes ? Et surtout, que penser de la position madrilène sur la question ?

 

Portrait du paysage politique catalan

Depuis quelques années, les sondages d’opinion placent assez constamment l’indépendance et le statu quo au coude à coude[9]. Or, si tous ne sont pas convaincus des vertus de l’indépendance, la vaste majorité (autour de 80%) de la population est d’accord pour dire que la Catalogne devrait avoir le droit de décider de son avenir et devrait pouvoir organiser un référendum[10]. En effet, même des partis ouvertement unionistes sont en faveur de la tenue du référendum, si ce n’est que par souci démocratique. Par exemple, la coalition En Comú Podem, qui regroupe plusieurs partis dont la branche catalane du parti de gauche Podemos, vient de se déclarer en faveur de la tenue du référendum en tant qu’ « acte de mobilisation », même si elle votera non si ce dernier a lieu[11]. L’indépendance ne fait donc pas tout à fait l’objet d’un consensus social, mais le droit à l’autodétermination n’est pas loin d’y parvenir, ce qui rend la position intransigeante du gouvernement espagnol particulièrement risquée et provocatrice.

Néanmoins, le mouvement indépendantiste semble déterminé à tenir un référendum, lui qui a réuni 40 000 personnes à Montjuic le 11 juin dernier pour la lecture d’un manifeste pro-référendaire par le célèbre entraîneur de football Pep Guardiola[12]. Lors de cette manifestation où toutes les têtes d’affiche du mouvement indépendantiste étaient présentes, on a accusé le gouvernement de « persécution indigne d’une démocratie[13] » et déclaré qu’ « il n’y aurait pas assez de prisons pour enfermer tout un peuple[14] ». Face aux potentiels obstacles qu’il pourrait rencontrer dans les prochains mois, le mouvement indépendantiste semble donc déterminé à parvenir à ses fins.

Toutefois, d’autres voix en Catalogne se sont montrées plus critiques des aspirations de la coalition au pouvoir. Par exemple, un récent éditorial du journal barcelonais El Periódico semblait plutôt craintif face à la voie que M. Puigdemont et ses troupes ont décidé d’emprunter, déclarant : « le chemin unilatéral ne peut mener qu’à l’abîme[15] ». Pour sa part, La Vanguardia (autre journal barcelonais) dénonce la hâte des indépendantistes qui semblent selon eux croire que l’indépendance doit se faire maintenant ou jamais, alors que les relations avec le gouvernement conservateur actuel sont extrêmement tendues[16]. Bref, le climat actuel en Catalogne est excessivement bouillant, et même plusieurs nationalistes catalans craignent que la situation ne dégénère dans les prochains mois.

 

Le gouvernement espagnol : un acteur imprévisible

Lors de son annonce de la date du référendum et de la question référendaire, le président Puigdemont a accusé le gouvernement de Mariano Rajoy de « ne démontrer aucune volonté de participer à la solution à un problème réel et profond[17] ». En effet, le gouvernement espagnol a démontré une intransigeance claire sur le dossier catalan, le président Rajoy ayant déclaré en mai dernier qu’un référendum ne se produirait pas tant qu’il serait président[18]. Cette déclaration, et l’utilisation de l’outil judiciaire par le gouvernement pour poursuivre des dirigeants indépendantistes laisse présager une âpre lutte dans les prochains mois. Suite à l’annonce de la date par M. Puigdemont, le porte-parole du gouvernement espagnol a affirmé qu’il s’agissait « d’un pas de plus dans une stratégie qui ne mène nulle part[19] ». Difficile de dire, donc, si le gouvernement espagnol entreprendra des actions d’envergure pour empêcher la tenue du référendum. On doit probablement réaliser, à Madrid, qu’une position trop ferme pourrait faire basculer plusieurs indécis dans le camp indépendantiste. Cela dit, le 22 juin, le parlement espagnol a rejeté à 71% une motion de Parti Démocrate Européen Catalan demandant de respecter la tenue du référendum prévu pour le 1er octobre[20]. Il est donc clair que les indépendantistes catalans ont peu d’alliés à Madrid.

Chose certaine : les quotidiens madrilènes semblent adopter une position tout aussi ferme que le gouvernement de M. Rajoy. En effet, un éditorial du journal El País, sous forme de lettre ouverte à M. Puigdemont, prétendait qu’un référendum (qu’il qualifie d’illégal) mènerait le pays au chaos[21]. De manière semblable, El Mundo qualifiait l’annonce du référendum d’inacceptable et a écrit que l’État devrait « considérer tous les moyens que permet la loi pour contenir [la menace][22] ». Face aux déclarations du gouvernement espagnol quant à sa détermination à empêcher le référendum8, le président Puigdemont avait sommé M. Rajoy le 31 mai dernier de cesser de maintenir l’ambigüité à savoir si Madrid utiliserait la force, déclaration restée sans réponse claire[23]. Bref, le climat social et les relations entre Madrid et Barcelone sont pour le moins délétères, et il ne serait pas surprenant que la situation s’envenime d’autant plus dans les prochains mois. D’ailleurs, les deux formations politiques en faveur du référendum se sont entendues, le 14 juin, pour amener le gouvernement espagnol devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et d’autres instances internationales et européennes si la justice espagnole « agit contre les principes de liberté d’expression et d’inviolabilité des élus[24] ».

***

En somme, le mouvement indépendantiste catalan est actuellement très vigoureux, bien que le projet indépendantiste ne recueille pas aux derniers sondages une majorité claire. Un consensus social existe en Catalogne par rapport au droit à l’autodétermination, et les Catalans semblent prêts à défendre ce droit face au gouvernement espagnol qui est loin de s’être montré conciliant jusqu’ici. Malgré le projet de référendum, il y a de très fortes chances que Madrid mette des bâtons dans les roues du gouvernement catalan et qu’elle utilise des mesures légales pour tenter de faire interdire le référendum ou encore pour poursuivre le président Puigdemont. Or, si les souverainistes internationalisent la question en la portant devant des instances supranationales, des pressions extérieures pourraient finir par s’exercer sur le gouvernement espagnol. Si la tendance se maintient, il ne serait pas surprenant que les tensions s’exacerbent au cours des prochains mois entre Madrid et Barcelone, mais il est toujours difficile de prévoir sur quoi cet état de fait pourrait déboucher.

Philippe Evoy

22 juin 2017

 

 

Références

 

[1] Boix, C. et J.C. Major. (2014). « La marche de la Catalogne vers l’indépendance », Politique Étrangère 2013/14 (Hiver), p. 37-49.

[2] Entre 2006 et 2017, l’option de l’indépendance est passée d’un appui populaire qui oscillait autour de 15% à un appui qui se situe depuis quelques années entre 35 et 50%.

Source : Centre d’Estudis d’Opinió. (2017). « Baròmetre d’Opinió Pública: 1a onada 2017 », consulté le 22 juin 2017.

[3] López Payero, L. (2016). « Pourquoi la Catalogne ne peut-elle pas s’autodéterminer ? Les raisons de l’État espagnol », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, Vol. 17, p. 1-32.

[4] Malgré les 72 sièges sur 135 obtenus par les deux formations indépendantistes, elles n’étaient parvenues ensemble qu’à obtenir 47,8% du vote populaire.

[5] Franceinfo et AFP. (2015). « Espagne : les indépendantistes remportent les élections régionales en Catalogne », franceinfo, consulté le 14 juin 2017.

[6] Morel, S. (2017). « Le procès de l’ex-président de la Catalogne remobilise les indépendantistes », Le Monde, consulté le 14 juin 2017.

[7] AFP. (2017). « Un référendum sur l’indépendance de la Catalogne en octobre », Le Devoir, consulté le 14 juin 2017.

[8] Le Président Rajoy avait en effet réagi en disant : « J’emploierai tous les moyens pour empêcher la tenue d’un référendum illégal », laissant entendre que l’usage de la force n’était pas exclu.

Source : Musseau, F. (2017). « Espagne: Rajoy dit «non» aux velléités sécessionnistes de la Catalogne ». RFI, consulté le 22 juin 2017.

[9] Rico, J. (2017). « El ‘no’ a la independencia avanza y se impondría al ‘sí’ por cuatro puntos, según el CEO », El Periódico de Cataluña, consulté le 14 juin 2017.

[10] Boix, C. et J.C. Major., op. cit., p. 38.

[11] Sallés, Quico. (2017). « Las bases de Podem apoyan el referéndum del 1 de Octubre como “acto de movilización” », La Vanguardia, consulté le 14 juin 2017.

[12] Sallés, Quico. (2017). « El ‘sí’ avisa al Estado: “No hay suficientes cárceles para poner a todo un pueblo” », La Vanguardia, consulté le 14 juin 2017.

[13] Redacción. (2017). « El manifiesto soberanista que Pep Guardiola ha leído en el acto de apoyo al referéndum », La Vanguardia, consulté le 14 juin 2017.

[14] Sallés, Quico. (2017). op. cit. 1.

[15] Équipe éditoriale. (2017). « Ahora sí, hacia el choque institucional », El Periódico de Cataluña, consulté le 14 juin 2017.

[16] Juan, J. (2017). « Ahora o nunca: Independencia exprés », La Vanguardia, consulté le 14 juin 2017.

[17] Masreal, F. et Xabi Barrena. (2017). « El referéndum, el 1 de octubre », El Periódico de Cataluña, consulté le 14 juin 2017.

[18] AFP, op. cit.

[19] Santos, P. (2017). « La respuesta del Gobierno a Puigdemont: « Cada vez son menos. Solo están ya los más radicales » », El Periódico de Cataluña, consulté le 14 juin 2017.

[20] Europa Press. (2017). « El Congreso rechaza el referéndum catalán con el 71% de los votos », La Vanguardia, consulté le 22 juin 2017.

[21] Équipe éditoriale. (2017). « Se equivoca, señor Puigdemont », El País, consulté le 14 juin 2017.

[22] Équipe éditoriale. (2017). « Inaceptable ultimátum de Puigdemont con el referéndum », El Mundo, consulté le 14 juin 2017.

[23] Non signé. (2017). « Puigdemont afea a Rajoy su « ambigüedad » con el « uso de la fuerza » », La Vanguardia, consulté le 22 juin 2017.

[24] Pascual, R. et Fidel Masreal. (2017). « Junts pel Sí y Sí que es Pot pactan llevar a la ONU la judicialización del ‘procés’ », El Periódico de Cataluña, consulté le 14 juin 2017.