6 septembre 2017

Recension – El Tsunami. Com i per què el sistema de partits català ha esdevingut irreconeixible

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Ce nouvel essai du célèbre historien catalan Joan B. Culla (Barcelone, 1952) part d’un constat simple : c’en est fini de la longue domination sur le système électoral catalan de deux géants, soit Convergence et Union (CiU), la coalition nationaliste de centre droit, et le Parti des Socialistes de Catalogne (PSC). La première, qui gouverna la Catalogne de 1980 à 2003, puis de 2010 à 2015, explosa en juin 2015 en deux formations, et les seconds, jadis vainqueurs systématiques des élections municipales et législatives, perdent chaque scrutin depuis 2010. Le tsunami du titre vient bien sûr des récents succès de listes alliées à Podemos en Catalogne, comme celle d’Ada Colau, militante anti-expulsions, élue en mai 2015 mairesse de Barcelone sans avoir d’expérience de la politique institutionnelle. En outre, chaque scrutin organisé en 2014-2015 eut un vainqueur différent et inhabituel : Gauche Républicaine de Catalogne (ERC) aux européennes de 2014, Convergence et Union aux municipales de 2015, une coalition centriste pro-indépendance, Junts Pel Sí aux élections au Parlement en septembre 2015, et enfin une coalition ad hoc, de gauche, emmenée par la mairesse de Barcelone, aux élections générales espagnoles du 20 décembre 2015. Ces quatre résultats auraient semblé inimaginables entre 1984 et 2000, lorsque, sur quatorze scrutins consécutifs, CiU et le PSC rassemblaient à eux deux au moins 60 % des voix émises. Chacun avait en outre ses scrutins de prédilection : les élections autonomiques pour CiU, les municipales et les générales espagnoles pour les socialistes catalans.

Le propos du livre consiste non à prévoir l’aspect du système politique catalan dans dix ou quinze ans, avec ou sans indépendance, « car, face à l’avenir, l’historien avance à tâtons comme tout être humain » (p. 291), mais à donner du sens à ce bouleversement, en le replaçant dans l’histoire de chaque grande formation catalane. En huit chapitres d’une longueur comparable, chacun consacré à une formation, Joan B. Cullà nous plonge au cœur de la vie de chaque parti, sur des temporalités et un rythme propres à chacun.

L’approche qu’a choisie l’auteur est narrative, et non analytique comme peut l’être celle de l’ouvrage coordonné par Joan Marcet et Xavier Casals, Partidos y elecciones en la Cataluña del siglo XXI (Barcelona, Institut de Ciències Polítiques i Socials, 2011), cité en bibliographie. Dans chaque parti, le subtil cocktail de clairvoyance, d’opportunisme, de stratégies, et de crises n’en apparaît que mieux. Reconnaissons à Joan B. Cullà un effort de synthèse, car, à l’image du parti indépendantiste de centre gauche ERC, chaque formation catalane peut inspirer une ou des monographies traitant un épisode marquant (Maria Dolors Invern, ERC 1931-1936, Abadía de Montserrat, 1989) ou toute son histoire (Collectif, ERC, 70 anys d’història, 1931-2001, Columna, 2001 et Joan B. Cullà, Esquerra Republicana de Catalunya, una història política, La Campana, 2013).

Ce parti, ERC, né avec la Seconde République espagnole et membre de la coalition Junts Pel Sí au pouvoir en Catalogne depuis fin 2015 fait justement l’objet du premier chapitre, intitulé « La montagne russe », pour souligner les fortes oscillations du vote pour ERC, mais aussi les fréquentes crises internes qu’a traversé ce parti depuis la Transition.

Après Esquerra Republicana, l’un des partis catalans ayant le plus bénéficié des récents bouleversements électoraux, l’auteur présente successivement sept autres forces politiques. Dans « Deconstructing PSC », Joan B. Cullà montre les multiples tensions à l’œuvre chez les socialistes catalans, que ce soit avec le parti socialiste espagnol ou dans ses propres rangs.

L’auteur passe ensuite aux deux partis refusant aussi bien la convocation d’un référendum contraignant sur l’indépendance que l’indépendance elle-même : Ciutadans (Citoyens) et le Parti Populaire de Catalogne. Dans le chapitre « Ciutadans : du fabricant d’horloges à The Economist », l’auteur, pour mieux faire comprendre la création en 2006 d’une plateforme politique puis d’un nouveau parti catalan ciblant la politique linguistique en faveur du catalan et le nationalisme, rappelle les précédentes démarches dans ce sens comme le Forum Babel. Entré au Parlement catalan en 2006 avec trois députés, ce parti opposé au nationalisme catalan s’y est maintenu depuis, devenant la deuxième force du Parlement fin 2015 avec 25 sièges.

Ensuite, le chapitre « Les limites d’une succursale » consacré au Parti Populaire de Catalogne (PPC) raconte comment un petit parti conservateur créé en Catalogne devint l’aile catalane du Parti Populaire espagnol, au pouvoir en Espagne depuis fin 2011. Les tensions régulières entre ce Parti Populaire de Catalogne et la direction nationale du PP ont abouti en faveur du second.

La coalition CiU ayant vécu, Joan B. Cullà traite séparément les deux partis qui la formaient : Convergence Démocratique de Catalogne (CDC), d’abord, créée par Jordi Pujol en 1974, ancien principal parti de cette coalition, au pouvoir en Catalogne depuis fin 2010, fait l’objet du chapitre « Convergence, voyage de la métamorphose à la réincarnation ». Puis, son ancien partenaire Union Démocratique de Catalogne (UDC), parti démocrate-chrétien créé en 1931 inspire le chapitre « Union Démocratique : splendeur et chute du duranisme », qui explique la perte de contrôle de la formation par son leader, Josep Antoni Duran Lleida, opposé à l’indépendantisme, et la dissolution d’UDC en mars 2017 après la perte de tous ses mandats.

Diamétralement opposée à UDC par son électorat et sa façon de faire de la politique, la Candidature d’Unité Populaire (CUP) fut projetée dans l’actualité début 2016 en conditionnant l’investiture de la coalition indépendantiste Junts Pel Sí à la présidence catalane. Pourtant, le chapitre « La CUP, le nouveau venu importun » non seulement rappelle que ce parti, apparemment tout nouveau, existe depuis 20 ans et avait dès 2007 concurrencé localement ERC aux municipales, mais le resitue dans la tradition indépendantiste révolutionnaire du Parti Socialiste de Libération Nationale (PSAN), créé dès 1969 dans la clandestinité.

Enfin, le dernier chapitre « D’Iniciativa à un nouveau PSUC» permet à l’auteur de replacer En Commun Podemos, la coalition formée par Ada Colau en octobre 2015, dans la continuité partielle du Parti Socialiste Unifié de Catalogne (PSUC), le parti communiste catalan, première force catalane d’opposition au franquisme dans les dernières années du régime, qui cessa de se présenter aux élections catalanes après 1984, et d’Initiative pour la Catalogne-Verts (ICV), fédération ex-communiste et écologiste comparable aux rouges-verts allemands.

Ces huit chapitres démontrent notamment que, dans un parti politique catalan, ni l’idéologie — ERC ne prône l’indépendance que depuis 1991 —, ni les succès électoraux — le parti obtint des résultats inverses aux élections générales 2004 et 2008 —, ni les circonscriptions — le PSC gouverna Barcelone de 1979 à 2011, mais il y fut cinquième aux municipales 2015 — ni la hiérarchie, ni le fonctionnement interne — UDC abandonna ses assemblées internes en 1993 et Josep Antoni Duran-Lleida finit par perdre le contrôle du parti — ne sont acquis à tout jamais et que l’imposition récente du débat sur l’indépendance n’est pas l’unique élément déstabilisateur de la vie politique en Catalogne. Joan B. Cullà ajoute en effet à ce facteur l’épuisement du modèle espagnol de 1978, qui se manifeste selon lui de façon précoce et intense en Catalogne, l’impact de la crise économique globale, la désorientation de la social-démocratie classique et l’irruption de la nouvelle politique incarnée, entre autres, par Podemos.

En conclusion, Joan B. Cullà résume la situation de chaque formation étudiée dans un contexte incertain où les majorités absolues ont vécu, et affirme que, des deux axes – gauche-droite, dit idéologique, et Catalogne-Espagne, dit national – gouvernant la vie politique catalane, le second a bloqué le premier. Ce blocage continuera selon lui tant que « la question catalane ne sera pas résolue par l’obtention de l’indépendance ou par une défaite démocratique claire de cette aspiration » (p. 295), autrement dit par un référendum contraignant à l’issue incontestée. L’historien en veut pour preuve le caractère fort peu plausible d’une alliance de la droite et du centre (PPC, Ciutadans, et Parti Démocratique de Catalogne, anciennement CDC) ou de la gauche (ERC, communs, CUP, et PSC) qui réunirait indépendantistes et unionistes

 

Remarques critiques

Cet ouvrage présente parmi d’autres mérites celui de ne pas s’adresser qu’aux spécialistes des arcanes des partis catalans, qui en reconnaîtraient n’importe quel acteur par quelques traits distinctifs sans que l’auteur n’ait à le nommer. Les nombreux faits évoqués ici sont traités et situés dans le temps avec précision, ce qui est crucial pour aborder une réalité aussi changeante que la vie politique catalane.

Assortie de nombreux témoignages nominatifs ou non, la multiplication des points de vue que nous propose l’auteur sur les mêmes épisodes historiques, qu’il s’agisse de la Transition, des deux gouvernements tripartites dits « catalanistes et de gauche » (2003-2010), ou des suites de la manifestation massivement indépendantiste du 11 septembre 2012 à Barcelone, permet au lecteur de les traverser sans ennui et d’en acquérir une compréhension plus fine.

La place qu’accorde l’auteur à chaque parti lui permet d’évoquer des épisodes peu connus — comme le projet finalement abandonné par le parti de gauche Initiative pour la Catalogne-Verts (ICV) de placer Ada Colau en 9e place de sa liste à Barcelone pour les élections autonomiques anticipées du 25 novembre 2012 (p.273) — et de montrer des personnages de second plan jouer un rôle décisif, à l’image de Montserrat Tura ou Joaquim Nadal au PSC, entre autres. C’est pourquoi un index des noms cités dans l’ouvrage n’aurait pas été inutile, mais son découpage par partis politiques permet de retrouver chaque acteur assez aisément.

Concernant l’idée de l’auteur que l’axe national a paralysé l’axe gauche-droite, c’est un objectif évident du mouvement indépendantiste de gommer les divergences idéologiques entre les partis qui prônent un État catalan. On concédera aisément, dans un environnement politique de plus en plus polarisé depuis fin 2012 au moins, que des coalitions de gauche ou de centre-droit entre partisans et adversaires de l’indépendance défieraient l’imagination. Mais, cela ne prouve pas qu’aux yeux des électeurs, l’aspiration ou l’opposition à l’indépendance suffise à répondre à toutes les autres questions, pas plus que la lutte des classes ne suffisait hier à résoudre la question de l’égalité femmes-hommes.

Enfin, si l’auteur manifeste un vif intérêt pour chacune des formations qu’il étudie, la tonalité de son propos varie nettement d’un parti politique à l’autre, entre la déférence accordée à CDC, nom initial du parti du président Carles Puigdemont[1], où les scandales financiers semblent surgir de l’extérieur et accidentellement, et son ironie envers Ciutadans, première formation d’opposition au Parlement catalan depuis fin 2015, et, qui — sans être seule dans ce cas — a subi des gestes d’hostilité plus conséquents depuis sa création en 2006 qu’« un article ou un graffiti » (p.99)[2]. À titre d’exemple, le 21 septembre 2007, le leader de Ciutadans Albert Rivera reçut à son domicile une photo de son visage percée à la hauteur du front par une balle de pistolet non percutée accompagnée d’une lettre de menace. Deux jeunes militants du parti Esquerra Republicana ont reconnu les faits et ont été condamnés en juin 2009 à 22 mois de prison ferme. En revanche, l’historien rejoint la romancière Patricia Gabancho pour prédire un long avenir au parti Ciutadans dans une Catalogne indépendante : son roman Crònica de la independència (Barcelona, Edicions 62, 2009) le montrait encore dans l’opposition en 2037.

Reste une plongée des plus intéressantes au cœur d’un système politique qui concerne, au moins, 7,5 millions de personnes, et qui, sans être déconnecté du système politique de toute l’Espagne, possède ses logiques et ses dynamiques propres.

Cyril Trépier

6 septembre 2017

 

Note biographique de Cyril Trépier

Docteur en Géographie et en Sociologie grâce à une thèse préparée en cotutelle entre les universités de Paris 8 et de Barcelone sous le titre « Analyse géopolitique de l’indépendantisme en Catalogne », chercheur en géopolitique à l’Institut Français de Géopolitique de Paris 8, auteur chez l’Harmattan de Géopolitique de l’indépendantisme en Catalogne (Paris, L’Harmattan, janvier 2016), et chargé de cours à l’Université de Cergy-Pontoise.

Principaux articles :

“Does decentralization prevent or foster secessionist conflicts?”, Swiss journal of economics and statistics avec Thierry Madiès Grégoire Rota, et Jean-Pierre Tranchant, Université de Lausanne, accepté pour paraître en 2017.

“Cómo debaten ahora los catalanes del contenido de la independencia?”, Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, n°16, printemps 2016, Université Paris X-Nanterre, publié en juin 2016, http://ccec.revues.org/6136

« L’indépendance de la Catalogne, un débat européen d’abord politique », L’Espace politique, [En ligne], 21 | 2013-3, publié le 17/12/2013, http://espacepolitique.revues.org/2828

 

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[1] Le 10 juillet 2016, CDC a été rebaptisée « Parti Démocratique Européen Catalan » (PDeCat) après consultation des militants de Convergence Démocratique de Catalogne. C’est donc ce parti qui forme avec ERC la coalition Junts Pel Sí (Ensemble pour le oui), qui gouverne la Catalogne depuis début 2016. Source : Wikipédia catalan, https://ca.wikipedia.org/wiki/Partit_Dem%C3%B2crata_Europeu_Catal%C3%A0

[2] Quotidien El Mundo, 16/06/2009 : http://www.elmundo.es/elmundo/2009/06/16/barcelona/1245147538.html

 

Crédit photo : Edicions 62 –