Nouvelle-Calédonie – Tensions intercommunautaires à l’approche du référendum sur l’indépendance
Dans: Autres communicationsArchipel du Pacifique et colonie française depuis 1853, la Nouvelle-Calédonie, que les indépendantistes appellent « Kanaky », est la terre ancestrale du peuple Kanak, qui est aujourd’hui minoritaire sur les îles (39% de la population[1]). En conformité avec l’Accord de Nouméa (capitale des îles) de 1998, qui avait été un jalon marquant dans le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie[2], un référendum d’autodétermination y sera tenu en novembre 2018.
S’inscrivant dans le grand mouvement de décolonisation de la deuxième moitié du XXe siècle, un mouvement indépendantiste kanak nait et prend de l’importance dans les années 1980, le tout mené par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS)[3]. En 1984, le FLNKS boycotte les élections territoriales et met en place un « gouvernement provisoire », ce qui marquera le début de quatre années de violences politiques et ethniques entre Kanaks et Européens. En 1988, des indépendantistes attaquent un poste de police et prennent en otage des gendarmes sur l’île d’Ouvéa, ce qui causera la mort de quatre gendarmes et dix-neuf indépendantistes et laissera une profonde marque dans les esprits calédoniens. La crise aboutira sur la signature des Accords de Matignon-Oudinot, qui offrent des garanties économiques et institutionnelles aux Kanaks et prévoient un référendum sur l’indépendance en 1998. Dix ans plus tard, ce n’est toutefois pas un référendum qui aura lieu mais la signature de l’Accord de Nouméa. Ce dernier repousse la date du référendum d’autodétermination à une date entre 2014 et 2018, mais prévoit surtout le transfert progressif de plusieurs compétences vers la Nouvelle-Calédonie et la création d’une citoyenneté calédonienne[4].
Même si le référendum de novembre 2018 se soldait par le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française, il ne s’agirait pas de la fin du débat sur l’indépendance. En effet, l’Accord de Nouméa prévoit qu’en cas de refus de l’indépendance au référendum, une deuxième consultation sur le même sujet pourrait se tenir deux ans plus tard, et une troisième dans le cas d’un refus au deuxième référendum[5]. Or, plusieurs craignent qu’en cas de défaite des indépendantistes (ce que les sondages prévoient pour l’instant[6]), les tensions et les violences ne refassent surface de plus belle dans l’archipel[7]. Peu importe le résultat du référendum de novembre, les Calédoniens parviendront-ils à une entente qui satisfera toutes les parties et évitera la reprise des violences?
Les enjeux à l’approche du référendum
Le référendum de novembre 2018 sera donc l’aboutissement d’un long cycle politique de trente ans (débutant avec les Accords de Matignon-Oudinot) en Nouvelle-Calédonie, et constituera fort probablement un point tournant dans l’histoire de cette collectivité territoriale française. Pourtant, ce ne sont pas tous les résidents des îles qui pourront voter. En effet, le corps électoral pour le référendum a été établi au moment de l’adoption de l’Accord de Nouméa : seules les personnes de nationalité française dont la résidence principale est en Nouvelle-Calédonie depuis le 8 novembre 1998 et leurs enfants majeurs pourront voter[8]. Cette disposition avait été adoptée à la requête des indépendantistes, qui craignaient que la population kanake ne soit diluée, vingt ans plus tard, parmi les immigrants français métropolitains. En effet, encore aujourd’hui, le projet indépendantiste demeure très relié à l’identité kanake et n’a pas réussi à rallier beaucoup de citoyens d’autres origines[9].
La confection de la liste électorale pour le référendum est d’ailleurs en ce moment un sujet de débat important en Nouvelle-Calédonie. Effectivement, le FLNKS soutient que 25 000 Kanaks en âge de voter n’y seraient toujours pas inscrits[10]. Ce sujet a évidemment suscité un tollé au cours des derniers mois et une manifestation pour l’inscription automatique des Kanaks sur la liste a notamment regroupé entre 1000 et 3000 personnes dans les rues de Nouméa le 20 juillet 2017[11]. Afin d’identifier les personnes manquantes, les autorités locales croisent les fichiers de personnes kanakes de statut civil coutumier et les listes électorales. À cet effet, les mairies ont multiplié les appels à s’inscrire, le tout pour s’assurer que les résultats du référendum aient une réelle légitimité démocratique. En outre, une mission d’observateurs de l’ONU est présente sur les îles depuis février dernier afin de superviser les préparatifs en vue du référendum. Il est important de noter que la Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la Liste des territoires non-autonomes de l’Organisation des Nations Unies[12].
Un troisième enjeu important en Nouvelle-Calédonie est celui de la situation économique de l’archipel. Très peu diversifiée, l’économie repose en grande partie sur l’industrie du nickel, qui représente 20% des emplois et 20% du PIB. En effet, l’archipel de 270 000 habitants est le sixième producteur mondial de ce minerai et en possédant les troisièmes réserves[13]. Or, le cours du nickel est très volatil et n’est pas toujours rentable pour la Nouvelle-Calédonie, ce qui fait que l’économie est aussi très dépendante aux subventions françaises et européennes. En 2015, l’Hexagone a financé près de la moitié des services publics calédoniens. Cela fournit évidemment des munitions aux loyalistes, qui soutiennent que l’économie des îles ne serait pas viable sans la France.
En vue du référendum, un autre enjeu à tenir en compte est celui de la division interne du mouvement indépendantiste. Dans ce pays où la politique est bien plus définie par l’opposition indépendantistes-loyalistes que par la dualité gauche-droite, il y a pourtant un vaste éventail des partis. En effet, le FLNKS n’est pas un parti mais plutôt un rassemblement de partis indépendantistes ou nationalistes ayant des orientations politiques parfois différentes. Ces divisions ont été mises en exergue lors des élections législatives françaises de 2017, alors que l’Union calédonienne (UC, parti membre du FLNKS) a décidé de ne pas s’impliquer dans les législatives en refusant de faire partie de la coalition indépendantiste Union nationale pour l’indépendance, sous prétexte de se concentrer sur le référendum. Certains ont par la suite attribué une partie de la mince défaite du candidat indépendantiste Louis Mapou dans la deuxième circonscription au manque d’engagement de l’UC dans la campagne[14].
Une société hautement polarisée
Même si les Calédoniens vivent dans une paix relative depuis les Accords de Matignon-Oudinot, la société est toujours profondément divisée. L’une des causes importantes de cela réside dans les profondes inégalités économiques dans l’archipel, qui affiche un indice de Gini[15] de 0,42 face à un indice de 0,32 pour la France métropolitaine[16]. Ces inégalités économiques se traduisent autant au niveau ethnique, que géographique.
En effet, le Grand Nouméa regroupe approximativement les deux tiers de la population des îles et 80% de leur richesse[17]. La population y est majoritairement européenne et anti-indépendantiste, et le niveau de vie moyen y est comparable à celui de la France métropolitaine. Cependant, il existe aussi une autre Nouvelle-Calédonie, celle de la province Nord et de la province des îles Loyauté, toutes deux ayant une population à majorité kanake et indépendantiste. Cette Nouvelle-Calédonie affiche un salaire moyen près de deux fois inférieur à celui de la province Sud. Même portrait quand on compare les taux de chômage, qui sont de 28% chez les Kanak et de 9% chez le reste des communautés[18]. Jean-Christophe Gay, professeur de géographie à l’Université de Nice Sophia Antipolis interviewé pour un rapport d’information remis à l’Assemblée Nationale de France le 28 mars 2017, y voit le résultat d’une histoire coloniale particulièrement difficile dont l’archipel ne s’est toujours pas remis[19].
Ces inégalités contribuent au climat tendu qui règne entre communautés en Nouvelle-Calédonie. Récemment, des épisodes de violences commises par des jeunes ont eu lieu aux abords de la communauté de Saint-Louis, en banlieue de Nouméa, blessant trois gendarmes. Des automobilistes ont également été pris pour cible à coups d’armes à feu et de jets de pierres, ce qui a évidemment été condamné fortement par les responsables politiques de tous les camps[20]. Néanmoins, la polarisation des esprits est tangible alors que Marine Le Pen et le Front national ont réalisé leur meilleur score outre-mer aux élections présidentielles françaises en Nouvelle-Calédonie, recueillant 47,43% des voix contre 52,57% pour Emmanuel Macron. Dans plusieurs communes où la population d’origine européenne est majoritaire, dont Nouméa, le FN a recueilli la majorité des voix, allant par endroits jusqu’à 74%[21]. Le parti d’extrême droite étant celui qui a la position la plus intransigeante contre l’indépendance, le docteur en géopolitique Jean-Christophe Pantz y voit « un durcissement des positions et une crainte du référendum », en plus d’une réaction au sentiment d’insécurité causé par les récentes violences[22].
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À la veille du référendum sur l’indépendance en Nouvelle-Calédonie, les divisions intercommunautaires sont plus visibles que jamais. Peu importe l’issue du vote, il apparaît clair que les différents groupes devront accepter des compromis afin de maintenir la paix et progresser vers une société plus représentative de chacun. Qu’il s’agisse de l’État français ou d’un éventuel État « Kanaky », la réconciliation passera inévitablement par l’investissement dans les régions hors-capitale et par la réduction des inégalités. Pour ce qui est du statut de la Nouvelle-Calédonie vis-à-vis de la France, toutes les options sont encore sur la table. Indépendance complète? Statu quo? Souveraineté avec partenariat? Les leaders indépendantistes kanaks ont historiquement été assez prudents dans leurs démarches. Jean-Marie Tjibaou, figure tutélaire de l’indépendantisme kanak, disait : « Pour un petit pays comme le nôtre, l’indépendance, c’est de bien calculer les interdépendances »[23].
Philippe Evoy
15 août 2017
RÉFÉRENCES
[1] Les Européens représentent quant à eux 27% de la population, les Wallisiens et Futuniens 8% et les autres habitants appartiennent soit à d’autres communautés d’origine asiatique, ou se déclarent « Calédoniens » ou Métis :
Institut de la statistique et des études économiques Nouvelle-Calédonie. (2015). « Communautés », http://www.isee.nc/population/recensement/communautes>, consulté le 19 juillet 2017.
[2] Bussereau, D. (prés.). (2017). « Rapport d’information au nom de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », Assemblée nationale, <http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i4596.pdf>, consulté le 17 juillet 2017, p. 55.
[3] Vandendyck, B. (2017). « Les enjeux du processus d’indépendance en Nouvelle-Calédonie », Institut de relations internationales et stratégiques, <http://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/01/Asia-Focus-15-Nouvelle-Cal%C3%A9donie-janv-2017.pdf>, p. 2, consulté le 17 juillet 2017.
[4] Vandendyck, B., op. cit., p. 3.
[5] (1998). « Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 », <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000555817>, consulté le 15 août 2017.
[6] Non signé. (2017). « Référendum 2018 en Nouvelle-Calédonie: Une majorité de Calédoniens contre la souveraineté, selon un sondage exclusif de Caledonia », Outremers360, <http://outremers360.com/politique/referendum-2018-en-nouvelle-caledonie-une-majorite-de-caledoniens-contre-la-souverainete-selon-un-sondage-exclusif-de-caledonia/>, consulté le 17 juillet 2017.
[7] Bonnefous, B. (2016). « A Nouméa, Manuel Valls face aux urgences de la Nouvelle-Calédonie », Le Monde, <http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/04/29/a-noumea-valls-face-aux-defis-de-l-independance-et-de-la-crise-economique_4910925_823448.html>, consulté le 18 juillet 2017.
[8] Kanaky, A. (2016). « Le référendum sur l’avenir du pays en 2018 : qui peut voter ? », Mediapart, <https://blogs.mediapart.fr/aisdpk-kanaky/blog/281216/le-referendum-sur-l-avenir-du-pays-en-2018-qui-peut-voter>, consulté le 18 juillet 2017.
[9] Vandendyck, B., op. cit., p. 11.
[10] Kanaky, A., op. cit.
[11] René, C. (2017). « La légitimité du scrutin est en jeu », Les Nouvelles Calédoniennes, <http://www.lnc.nc/article/pays/politique/la-legitimite-du-scrutin-de-2018-est-en-jeu>, consulté le 20 juillet 2017.
[12] AFP. (2017). « Nouvelle-Calédonie : mission d’observation de l’ONU en vue du référendum de 2018 », Europe1, <http://www.europe1.fr/societe/nouvelle-caledonie-mission-dobservation-de-lonu-en-vue-du-referendum-de-2018-2989151>, consulté le 18 juillet 2017.
[13] Vandendyck, B., op. cit., p. 18.
[14] Mapou a été défait aux mains du député sortant loyaliste Philippe Gomès, du parti Calédonie ensemble, qui a recueilli 54,95% des voix contre 45,05% pour l’indépendantiste :
Les Nouvelles Calédoniennes. (2017). « La stratégie de l’Union Calédonienne discutée », La Dépêche de Tahiti, <http://www.ladepeche.pf/strategie-de-lunion-caledonienne-discutee/>, consulté le 18 juillet 2017.
[15] Indice mesurant les inégalités économiques, dont les valeurs se situent entre 0 et 1. Plus la valeur se rapproche de 0, plus une société est égalitaire.
[16] Prinsen, G. et S. Blaise. (2017). « An emerging ‘‘Islandian’’ sovereignty of non-self-governing islands », International Journal, vol. 72, no. 1, p. 68.
[17] Bussereau, D. (prés.), op. cit., p. 116.
[18] Prinsen, G. et S. Blaise, op. cit., p. 68.
[19] Bussereau, D. (prés.), op. cit., p. 116.
[20] AFP. (2017). « Nouméa: les violences inquiètent à l’approche du référendum d’autodétermination », franceinfo, <http://la1ere.francetvinfo.fr/violences-pres-noumea-inquietent-approche-du-referendum-autodetermination-441847.html>, consulté le 18 juillet 2017.
[21] AFP. (2017). « Référendum et insécurité, Marine Le Pen fait son meilleur score outre-mer en Nouvelle-Calédonie », Le Point, <http://www.lepoint.fr/societe/referendum-et-insecurite-marine-le-pen-fait-son-meilleur-score-outre-mer-en-nouvelle-caledonie-09-05-2017-2125869_23.php#xtmc=nouvelle-caledonie&xtnp=1&xtcr=8>, consulté le 18 juillet 2017.
[22] Non signé. (2017). « Nouvelle-Calédonie. Pourquoi Le Pen y fait son meilleur score outre-mer ? », Ouest France, < http://www.ouest-france.fr/politique/marine-le-pen/nouvelle-caledonie-pourquoi-le-pen-y-fait-son-meilleur-score-outre-mer-4978683>, consulté le 15 août 2017.
[23] Bussereau, D. (prés.), op. cit., p. 116.