4 juillet 2017

Élection britannique – L’Écosse divisée face à la perspective d’un deuxième référendum sur l’indépendance

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En Septembre 2014, l’Écosse tenait un référendum sur son indépendance face au Royaume-Uni, qui s’était soldé par une victoire du « Non » qui avait recueilli 55,3% des votes contre 44,7% pour le « Oui[1] ». L’option indépendantiste semblait, depuis l’échec du référendum, avoir été mise en veilleuse par le gouvernement écossais de Nicola Sturgeon. Or, le vote favorable au Brexit du Royaume-Uni allait contre la volonté de la majorité des Écossais, ces derniers ayant voté à forte majorité (62%) en faveur du Remain[2]. Forte d’une écrasante majorité des sièges écossais à Westminster[3], la première ministre Sturgeon avait annoncé en mars dernier qu’elle chercherait l’appui du parlement écossais pour un deuxième référendum sur l’indépendance une fois que les modalités du Brexit deviendraient plus claires. Or, suite aux élections britanniques du 8 juin dernier, le SNP ne se retrouve plus dans la position de force qu’il occupait précédemment. Ayant perdu 21 de ses 59 sièges au parlement de Westminster[4], dont celui de l’ex premier ministre et grand artisan du référendum de 2014 Alex Salmond, le SNP a perdu beaucoup de plumes, notamment face aux Conservateurs dirigés en Écosse par la populaire Ruth Davidson. En effet, les médias ont unanimement déclaré que cette dernière avait fait une excellente campagne, faisant élire 13 députés contre un seul en 2015 dans ce pays traditionnellement plutôt à gauche par rapport au reste du Royaume-Uni[5]. Mme Davidson et les Conservateurs écossais militent en faveur d’un soft Brexit, soit la conservation de certains liens avec l’Union Européenne tels que le marché unique. Cette option semble avoir gagné en popularité en Écosse au détriment de l’option proposée par le SNP, soit le référendum d’indépendance. Il est donc pertinent de s’interroger si la déconfiture électorale du SNP peut être assimilée à un affaiblissement du mouvement indépendantiste. Le SNP peut-il encore être considéré comme l’unique voix légitime des Écossais à Londres, notamment par rapport à la question du Brexit? L’option du deuxième référendum sera encore sur la table dans les mois à venir?

 

Un revers pour le projet de référendum?

Vendredi 8 juin, la perspective d’un référendum semblait en tous cas s’être éloignée, l’opposition écossaise ne manquant pas de le souligner. Mme Davidson s’était empressée de dire à la BBC : « Le deuxième référendum est mort, c’est ce que nous avons vu ce soir » [6]. Sans se commettre, Mme Sturgeon a également admis que la campagne électorale menée principalement sur le référendum par le SNP avait été un facteur dans le résultat décevant de l’élection[7]. Indice probant, la page web de socio-financement du SNP pour la tenue d’un référendum avait été désactivée lundi, le parti prétendant que l’argent était surtout demandé pour la campagne électorale et que les dons n’étaient par conséquent plus nécessaires[8]. Les chroniqueurs écossais semblaient également assez unanimes après l’élection pour dire que la perspective d’un deuxième référendum semblait s’être soudainement éloignée, bien que cela ne signifie pas nécessairement une perte de popularité pour l’idée d’indépendance[9]. Certains ont souligné qu’il n’était pas bon signe que l’insistance du SNP sur la nécessité de tenir un deuxième référendum ait contribué au revers électoral du SNP, et que cela mettait Mme Sturgeon et les dirigeants du parti dans une position délicate. En effet, le projet indépendantiste demeure la raison d’être principale du parti et sa base électorale est composée d’indépendantistes convaincus; il n’est donc pas envisageable pour lui de cesser de parler de référendum, mais il devra néanmoins trouver un juste milieu représentatif des aspirations des Écossais s’il souhaite demeurer le porte-parole de ces derniers[10]. Le 20 juin, un porte-parole de la première ministre Sturgeon a déclaré qu’elle présenterait probablement son plan pour la tenue éventuelle d’un deuxième référendum avant la fin de cette session parlementaire (qui se termine le 29 juin), laissant entendre que l’option était malgré tout toujours sur la table[11].

Comme cause ayant également contribué au recul électoral du SNP, il importe de mentionner le gain de sept sièges par le Labour de Jeremy Corbyn, parti historiquement dominant en Écosse. En effet, le chef résolument à gauche du Labour a pu ravir des voix au SNP, malgré l’unionisme de son parti[12]. Par ailleurs, les Libéraux Démocrates ont aussi contribué à la déconfiture du SNP en remportant 4 sièges.

Malgré les résultats électoraux peu encourageants pour le SNP, il y des nuances à apporter à l’idée que ce serait un revers pour l’indépendance. Le SNP demeure néanmoins le parti au pouvoir en Écosse et celui possédant le plus de sièges à Westminster, avec une marge importante devant ses plus proches rivaux, les Tories. Le ministre Mike Russell, responsable du Brexit au SNP, a même soutenu après les élections que Mme Sturgeon détenait toujours son mandat pour organiser un deuxième référendum et que « les Écossais seraient heureux qu’elle prenne son temps avant de [prendre une décision] », ce à quoi l’opposition a répondu en accusant le SNP de ne pas prendre acte des résultats des élections[13]. Certains chroniqueurs écossais ont d’ailleurs souligné que les raisons évoquées pour l’indépendance par le SNP, soit une majorité conservatrice quasi-permanente à Londres et le désir des Écossais d’avoir un mot à dire dans leur sortie de l’Europe, sont toujours d’actualité[14]. Par ailleurs, s’il semble y avoir une constante dans les intentions de vote en Écosse depuis que le SNP a presque entièrement pris les sièges des Travaillistes à l’élection britannique de 2015, c’est bien la volatilité de l’électorat[15]. Il n’est donc pas impossible que la tendance opère un virage une fois de plus, même s’il faut bien admettre qu’un référendum semble beaucoup moins probable dans un avenir immédiat. Bien qu’il soit clair que l’indépendance de l’Écosse n’est pas à l’agenda immédiat suite au revers électoral du SNP, il est cependant encore bien tôt pour se prononcer sur l’issue définitive de la question référendaire. Ceci est d’autant plus clair que le paysage politique britannique est particulièrement imprévisible depuis quelques années, et que la saga du Brexit a encore très certainement des surprises à réserver.

 

Reconfiguration de la députation écossaise à Londres en vue du Brexit

Une question absolument centrale à ces élections britanniques en Écosse, qui a réussi à détourner beaucoup d’attention de la question d’indépendance, est celle du Brexit et de ses modalités. Bien sûr, les deux questions sont intimement reliées étant donné que la raison principale évoquée par les indépendantistes pour la tenue d’un deuxième référendum est celle du Brexit. Or, la performance impressionnante des Tories de Ruth Davidson indique qu’une partie importante de la population veut gérer la sortie de l’UE d’une façon différente. Au lieu de l’indépendance écossaise et du rattachement à l’UE proposée par le SNP, les Tories écossais prônent le soft Brexit, option que certains Écossais réfractaires à un deuxième référendum ont probablement décidé d’appuyer malgré qu’ils se soient peut être originalement opposés au Brexit[16]. En effet, Mme Davidson propose de militer au sein du parti Conservateur en faveur de la négociation du maintien du Royaume-Uni dans le marché unique européen, chose qui ne faisait originalement pas partie des plans de Mme May. Comme cette dernière dépend en partie de ses députés écossais, il y a de fortes chances que les requêtes de Mme Davidson soient entendues, ce qui affaiblirait les arguments du SNP en faveur de l’indépendance[17].

Par ailleurs, il importe de mentionner que, malgré leur unionisme inébranlable, les Tories écossais ne sont pas parfaitement alignés sur les positions de Mme May et de beaucoup de Conservateurs anglais. Ils portent des revendications spécifiques aux Écossais (en plus du soft Brexit). Par exemple, de fortes tensions ont été provoquées par le désir de Mme May de former un gouvernement de coalition avec le Democratic Unionist Party (DUP) d’Irlande du Nord, un parti très conservateur notamment opposé au mariage gai. En effet, Mme Davidson et son contingent ne sont pas particulièrement à l’aise avec cette alliance, étant pour la majorité plutôt des Red Tories (aile plus centriste des Conservateurs) et Mme Davidson étant elle-même membre de la communauté LGBT et fiancée à une Irlandaise. Au moment actuel, les tensions sont si prononcées entre les ailes Conservatrices de Londres et d’Édimbourg qu’il y a un projet de séparation de la « maison mère » chez les Conservateurs écossais, qui demeureraient néanmoins très proches du clan de Mme May[18]. Par conséquent, étant donné qu’un groupe important de députés conservateurs représente les Écossais à Londres (bien qu’ils soient nettement moins nombreux que les députés du SNP), il est fort probable que la position du parti indépendantiste soit significativement affaiblie dans les négociations pour les modalités du Brexit.

Suite à l’élection, Mme Sturgeon a approché la première ministre May afin de proposer une approche multipartite et « à quatre nations » (les quatre pays composant le Royaume-Uni) lors des négociations pour le Brexit, ce que Mme May a refusé. Effectivement, Mme Sturgeon soutient que le gouvernement Conservateur n’a plus la légitimité nécessaire pour négocier seul la sortie de l’UE, lui qui cherchait par cette élection à obtenir un mandat clair pour un hard brexit et qui a finalement perdu plusieurs sièges et sa majorité[19]. La première ministre écossaise a également annoncé qu’elle chercherait à conclure une « alliance progressiste » avec le Labour de Jeremy Corbyn afin de limiter les effets du Brexit[20]. Cette main tendue au parti unioniste de centre-gauche face au Brexit semble indiquer une mise en veilleuse au moins temporaire de l’option indépendantiste, le SNP voulant probablement aussi prouver que ses détracteurs ont tort, eux qui l’ont accusé à répétition de ne se préoccuper que d’indépendance au détriment des autres dossiers. Somme toute, les conséquences et les modalités du Brexit pour l’Écosse demeurent encore hautement imprévisibles. Chose certaine : le SNP n’est plus seul à porter la voix de l’Écosse et sa marge de manœuvre sera probablement beaucoup moins grande qu’elle aurait pu l’être, s’il était parvenu à maintenir tous ses sièges à Westminster.

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En définitive, le SNP et le mouvement indépendantiste écossais sortent quelque peu affaiblis de l’élection britannique. Une partie de la population écossaise semble s’être résignée à la perspective de la sortie de l’UE et se soucie maintenant plus de sauver les meubles que de l’indépendance. Néanmoins, bien que les deux partis traditionnels (Conservateur et Travailliste) aient effectué des percées significatives dans l’hégémonie du SNP en Écosse, ce dernier y demeure la force politique principale, détenant 35 des 59 sièges à Westminster et les rênes du gouvernement écossais. Il est donc toujours très tôt pour annoncer le déclin de l’indépendantisme écossais, qui demeure malgré tout vigoureux. À moins d’un changement politique important dans les prochains mois, il est toutefois peu probable que le SNP puisse tenir le deuxième référendum sur l’indépendance qu’il planifiait. Dans l’immédiat, il est plus probable que l’entièreté de la classe politique écossaise se concentre à garder tout ce qu’elle pourra de liens avec l’Union Européenne.

Philippe Evoy

22 juin 2017

 

Références

 

[1] BBC. (2014). « Scotland Decides », consulté le 12 juin 2017.

[2] BBC. (2016). « Results », consulté le 12 juin 2017.

[3] Lors de l’élection britannique de 2015, le SNP s’était en effet emparé de 56 des 59 circonscriptions écossaises représentées à Westminster. Les Conservateurs, les Travaillistes et les Libéraux Démocrates avaient dû se contenter d’une seule circonscription chacun.

[4] La récente élection a vu les Conservateurs remporter 13 sièges, les Travaillistes 7 et les Libéraux Démocrates 4, laissant le SNP avec 35 sièges.

[5] BBC. (2017). « Results », consulté le 12 juin 2017.

[6] Sans auteur. (2017). « Second independence referendum plan ‘dead’ after SNP suffers major losses », The Herald, consulté le 12 juin 2017.

[7] Carrell, S. (2017). « Nicola Sturgeon hints independence off agenda after SNP loses seats », The Guardian, consulté le 12 juin 2017.

[8] Gordon, T. (2017). « SNP abandons £1m fundraising appeal for second referendum », The Herald, consulté le 12 juin 2017.

[9] McGarvey, D. (2017). « Darren McGarvey: SNP lost support, not the Yes movement », The Scotsman, consulté le 13 juin 2017.

[10] Torrance, D. (2017). « David Torrance: Once independence momentum is lost, it’s fiendishly difficult to regain », The Herald, consulté le 12 juin 2017.

[11] Bussy, K. (2017) « Nicola Sturgeon to outline indyref2 plan before summer recess », The Scotsman, consulté le 22 juin 2017.

[12] Torrance, D. (2017). op. cit.

[13] Johnson, S. (2017). « SNP accused of being in denial over election after minister claims mandate remains for indy ref 2 », The Daily Telegraph, consulté le 13 juin 2017.

[14] Riddoch, L. (2017). « Lesley Riddoch: Has Scotland reached ‘peak independence’? », The Scotsman, consulté le 12 juin 2017.

[15] McMillan, J. (2017). « Joyce McMillan: Indyref2 could be off the agenda for up to a decade », The Scotsman, page consultée le 12 juin 2017.

[16] Torrance, D. op. cit.

[17] Erlanger, S., Katrin Bennhold et Stephen Castle. (2017). « The British Election That Somehow Made Brexit Even Harder », The New York Times, consulté le 12 juin 2017.

[18] Johnson, S. et Alan Cochrane. (2017). « Ruth Davidson planning Scottish Tory breakaway as she challenges Theresa May’s Brexit plan », The Daily Telegraph, consulté le 12 juin 2017.

[19] Settle, M. (2017). « No.10 brushes aside Nicola Sturgeon’s call for cross-party ‘four nation’ approach to Brexit talks », The Herald, consulté le 12 juin 2017.

[20] Bernard, P. (2017). « Les nationalistes écossais mettent en sourdine la revendication de l’indépendance », Le Monde, consulté le 12 juin 2017.